10. Aurélie
- Aurélie Lavigne
- 2 juin 2022
- 16 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 avr.
« Bonne nuit m'man, bonne nuit p'pa ! »
Bon si j’arrive à compter jusqu’à 10 avant qu’ils n’éteignent la lumière du couloir, alors ma vie sera super !
1,2,3,4,5,6,7/
Extinction des feux !
« AH ! MINCE ! Pas réussi… »
C'est l'heure de mes questions existentielles :
Est-ce que, quand on est mort, on ne voit plus rien, jamais ?
On va où après alors ? Est-ce qu’il y a un monde caché pour ceux qui sont partis ?
Est-ce que moi aussi je vais réussir à conduire une voiture un jour ? Allumer le gaz ? Est-ce que Jérôme, il m’aime ? Parce que moi oui, je crois...est-ce qu’on est obligé d’embrasser sur la bouche, parce que c’est quand même dégoutant !
Ah ! J’ai consulté le dictionnaire des rêves, ils disent que de rêver de mort et d’église annonce un grand bouleversement ! J’espère que ça sera un chouette de bouleversement !
Extinction des feux !
26 décembre 1990 - Tenerife.
C’est la nuit. Un voile sombre vient de tomber sur ma vie. Le monde vient de s’écrouler. Le mien, je ne comprends pas tout mais ma vie va être différente à partir de maintenant…j’ai 15 ans.
Je n’aime pas les chants de Noël putain ! Est-ce qu’ils ne peuvent pas la fermer…
J’ai mal à la tête. Trop de larmes, mon nez est bouché, ça a dû atteindre mes sinus. J’ai encore envie de faire pipi. Ça fait 3 fois déjà en 1 heure. Avec toute l’eau que j’ai avalée forcément…
Cette nuit est interminable. Je pense à mes copines du lycée, comment vont-elles réagir ? Notre village doit être sous le choc. Le directeur de la principale usine de notre bled est mort, le jour de Noël en plus… « si ce n’est pas triste ça quand même ! »
Je pense à toutes ces futilités, ça me permet de ne pas cogiter sur la principale information du jour : je suis orpheline de père, ma mère est bloquée dans un matelas coquille et reste sidérée par le choc physique et par la nouvelle, mon cousin et son père sont morts aussi. Noyés.
Je vomis et pisse toute cette flotte qui a emporté l’homme de ma vie.
J’ai jamais autant chialé. Je profite de parler grossièrement, parce que mon père il n’aime pas ça ! Même le mot « vachement », il n’aime pas, alors c’est pour dire…
Je parle, je ris, je mange, je chiale et je pisse…Mon cerveau a mis en place un truc fou, un mécanisme qui me permet de tenir encore debout. Je suis triste, mais je ne réalise pas que demain sera un jour sans lui. Puis les jours suivants et encore ceux d’après.
Je pense à notre déjeuner quelques heures avant l’accident, on était gai, on parlait de la vie, du destin. On disait qu’on avait tous une heure pour partir…Bla bla bla. Mon père, lui ne disait rien.
Il est beau mon père. Oui, laisse moi encore parler de lui au présent…
Il est beau et surtout il est gentil, pas la gentillesse conne, le genre « Ouais il est gentil », mais la vraie gentillesse du cœur. Un sourire toujours prêt à être dégainé, des yeux qui pétillent, un sens du rythme…très personnel et ce qui me fait rêver, moi, depuis petite fille, c’est qu’il est vraiment amoureux de ma mère. Punaise faut les voir quand au petit-déj, il l’installe sur ses genoux, pour faire « Bateau sur l’eau », non mais n’importe quoi, à 40 balais ! Ils s’embrassent tout le temps et puis il lui offre des fleurs régulièrement (surtout quand il est en retard…). Je veux ancrer ses images d’amour dans une case de ma mémoire.
Je veux garder cette tête de papa gentil, ce regard bleu, assez lisible en moi et ce, malgré le temps qui passe…
Depuis toute gosse, J’entends « qu’est-ce qu’elle est gentille Aurélie ! ». J’avoue que je ne sais pas si je dois bien le prendre, j’ai l’impression que c’est négatif, voire une faiblesse. A partir d'aujourd’hui, je veux en être fière, parce que cette gentillesse-là, je la dois au premier homme de ma vie, mon papa !
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Je garde cette image, cette tête blessée, ce regard bleu-gris fixe dont je me détourne pour survivre. Juste un regard vers lui, un furtif moment de quelques secondes que mon cerveau analyse si vite. Tout est fini. Il est parti, sauve toi, ne meurs pas. Accroche-toi à ces cordes que les vivants te tendent. Entends ces cris d’inconnus qui te hurlent d’y arriver. Oublie ce manteau d’hiver, qui pèse une tonne parce qu’il est imbibé d’eau, il fait tout pour te retenir dans cette mer en furie. Oublie le froid, la peur, accroche toi de toutes tes forces et grimpe. Oui mais non…alors que je lutte pour ne pas couler, une image me revient. Le collège, la séance de sport, la fameuse escalade à la corde…je n’y suis jamais parvenue. Et bien, là c’est pareil. Je ne parviens pas à rejoindre cette foutue jetée du port. Le mur devient un obstacle insurmontable. Mes yeux captent ceux de l’homme au bout de cette corde qui continue à hurler, mais que je n’entends pas. Mes yeux se remplissent de flotte comme s'il n’y en avait pas assez autour de moi. Mais je ne lâche pas cette corde. Les yeux de mon sauveur ont disparu…il a senti que je n’y arriverai pas. Je ne quitte pas du regard, le haut de ce mur. J’attends. Je sens que quelque chose se passe. Et puis, les yeux reviennent. Ils m’électrisent, je comprends qu’il ne me lâchera pas. Je reprends confiance, il n’est pas si haut, bordel ce mur. Alors que je suis prête pour une nouvelle ascension, une bouée de sauvetage est lancée et arrive près de moi. Je mets ma tête et un bras. Mon sauveur me hisse jusqu’en haut, aidé par d’autres. Je quitte cette eau mortuaire, je retourne à la vie, en y laissant beaucoup…
On me retire la bouée. Je suis à quatre pattes, je regarde le sol. Il me faut quelques minutes pour comprendre l’histoire. Pour admettre ce qui vient de se passer. Il me tend un verre de liquide ambré, très odorant. Il me demande, en espagnol, de boire, que ça va me réchauffer. C’est fort, le goût est atroce, mais j’en bois une gorgée, plus pour lui faire plaisir et le remercier de ne pas avoir abandonné, que pour me réchauffer.
Je le regarde et lui dis que mon père est en bas, il ne va pas bien. Et puis, je retourne dans le silence. De ma mère, je ne demanderai pour le moment aucune nouvelle. Ni des autres personnes présentes. Mon cerveau me préserve et gère une information à la fois.
Je suis sidérée par la violence du scénario. Il y a quelques minutes, nous étions sur la jetée, cheveux au vent. Denis, mon cousin de 18 ans, chantait Tino Rossi…« La mer ». Et puis, par instinct, j’ai tourné le dos à l’océan et ai retenu ma respiration. Sans raison, je me tenais prête.
Quelques secondes après, il y eut l’impact de la vague, ce qu’on me dira être, par la suite, une lame de fond. Un gros bouillon qui m’emporte, j’ai la sensation de voler au-dessus du port. C’est extrêmement bruyant. Je crie, l’eau entre dans ma bouche, et dans mon nez. J’appréhende l’atterrissage. Je suis projetée au fond de l’eau.
Un nouveau choc…mon corps s’enfonce dans l’obscurité de cette immensité.
J’ai le réflexe de vouloir remonter à la surface, mon duffle-coat est lourd. Je ne vois rien, je n’ai pas encore touché le fond. Je n’ai aucun repère, je nage vers ce que je pense être la surface. Enfin, ma tête sort de l’eau, je prends une grande inspiration. Je cligne des yeux, le ciel gris, la mer brune, agitée, les cris, les pleurs et face à moi, flottant, ce visage connu, aimé mais sans vie. Ma main qui secoue, ma voix timide, trop timide qui appelle, j’ai si peur du silence en retour.
Ca sera le silence. Je ne pensais pas que ça pouvait être aussi violent. J’aurais préféré entendre des cris, de douleur, de peur, mais pas ça…pas le silence. Pas ce regard sans vie. Pas cette fin qui ne s’est pas annoncée. Ces mots qui ne seront plus dits, tous ces moments qui ne deviendront pas des souvenirs…j’aurais voulu, au moins te dire au revoir.
On entend les sirènes des ambulances au loin et rapidement elles arrivent sur le port, ma cousine et moi montons à bord d’un véhicule. Nous filons à vive allure vers un hôpital, dans le sud de l’île. Ils nous installent dans une chambre immense avec deux lits, mais nous restons collées serrées dans un seul. Alors que nous reprenons notre souffle et nous vidons de toute l'eau avalée, elle me lance un "dans mon malheur, ma chance est que ce ne sont pas mes parents !"...cette phrase m'assène un bon gros coup de poignard dans le coeur. Je plisse les yeux un peu et vomit beaucoup.
Après plusieurs heures loin des miens, et à force de demandes incessantes d’aller les rejoindre, on nous conduit à l’autre bout de l’île pour retrouver maman, grièvement blessée. Immobilisée par la douleur dans un lit à cause de plusieurs vertèbres et de son genou cassés, je lui saute au cou, tellement heureuse de voir qu’elle « va bien ». Elle est vivante. Nous débriefons sur ce qui vient de se passer, tellement sidérant.
Chaque soignant entrant dans notre chambre sera questionné sur le sort de Papa, Pierre et Denis. Personne ne sait. Et il y a toujours ce passage de bonnes âmes dans le couloir à chanter noël ! Pour la 10ème fois, je descends à l’accueil pour demander à l’agent si par hasard elle n’aurait pas eu des nouvelles de mon père, parce que dans l’autre hôpital, on m’a dit que des plongeurs l’avaient sorti de l’eau et qu’il avait juste la jambe cassée, alors bon…
En réponse, je reçois ses pleurs. Elle me dit et répète qu’elle est vraiment désolée. Mais désolée de quoi ? Oui c’est chiant une jambe cassée mais franchement c’est un moindre mal ! Je lui dis de ne pas s’en faire et retourne près de maman. La nuit tombe. Il nous faut prévenir la famille restée en France, mon frère. Nous sommes le 25 décembre mais nous n’appelons pas pour leur souhaiter quoique ce soit. C’est un grand choc pour tout le monde. La différence est que nous sommes encore dans la sidération, nous avons subi physiquement et mentalement un grand choc. Le cerveau nous met un peu en état de veille pour digérer l’évènement. Nous sourions de nos pets mouillés, des fausses notes des chanteurs, bref on ne réalise pas encore.
Extinction des feux.
Dans quel hôpital ils ont pu le mettre quand même ?
Ce sang sur son visage, ces yeux ouverts…ce n’est quand même pas…non !
Il va avoir l’air malin avec sa jambe dans le plâtre !
Mais…il n’a pas du tout réagi quand je l’ai appelé et secoué…
Bon demain, s’il faut, je fais un sit-in mais va falloir qu’ils nous emmènent là où ils sont !
Le matin arrive enfin, sans que nous ayons réellement fermé l’oeil. Mon esprit refuse encore l’éventualité d’une catastrophe. C’est bon, on n’est quand même pas dans un film.
On nous porte un petit-déjeuner, le regard des personnes est triste. J’aime pas.
Quelqu’un frappe à notre porte, maman chuchote un « entrez ! ». Trois personnes en blouse blanche se présentent dans l’encadrement de la porte. Ils ont l’air grave. Ils nous demandent, à ma cousine et moi de sortir quelques minutes. J’aime pas.
Nous restons dans le couloir, silencieuse, je me dis que s’il y a une mauvaise nouvelle, maman va crier et je saurai. Ça sera le silence. La porte s’ouvre à nouveau, je ne vois que ses yeux remplis de larmes, elle ne parvient pas à parler, sa bouche s’ouvre mais aucun son ne sort. Elle m’ouvre grand ses bras. Une colère envahit instantanément tout mon corps, je vais refuser ses bras et me jeter au sol. Je regarde les médecins et leur crie :
« On m’a dit qu’il avait une jambe cassée. Une jambe cassée putain !
Et Pierre, Denis ?
- Morts également, nous sommes désolés… »
Deuxième coup de massue, mais plus fort cette fois.
Nous nous préparons pour être évasanés des Canaries vers la France.
Mais avant de quitter l’île, je dois vider l’appartement loué pour la semaine. Je suis accompagnée par des connaissances de mes parents, qui étaient également en vacances dans le coin. Il me faut faire les valises, plier les affaires de papa, sentir son odeur sur une chemise et réaliser que c’est la dernière fois. Mes yeux ne désemplissent pas, un flot de larmes en continu. Le couple nous emmène au restaurant…cela partait certainement d’une bonne intention mais je n’ai absolument pas faim et passe mon temps à pleurer. Totalement incapable de m’arrêter, je vais faire des breaks dans les toilettes pour laisser tout le monde respirer. Ne sachant trop que dire, ils tentent des maladroits « Allez, allez, ça va aller ! », « Faut pas pleurer comme ça, il faudra être forte pour ta maman. » et enfin « Et puis, il faut manger ! ». Ma tête acquiesce mais tout le reste de mon être est totalement en désaccord avec ça, et pour finir, les spasmes viennent s’ajouter aux larmes. Mais je comprends leur malaise et suis peinée de leur faire endurer ça.
Dans l’avion. Nous sommes en petit comité, protégés. Avec celles qui restent, qui n’ont pas coulées et ceux qui sont venus nous rapatrier, mon oncle et mon frère. Nous n’échangeons pas beaucoup. Maman, bloquée dans son matelas coquille est très silencieuse, perdue dans ses pensées. Nous gérons notre peine chacune de notre côté. Avec ma cousine, nous jouons à Marios Bros sur la Game Boy prêtée par l’accompagnatrice de l’assurance rapatriement. Et puis, elle nous la reprise parce qu’on allait lui bouffer toute la batterie…Nous retournons alors dans le silence, pas de visage en larmes. Pas de cris. Cela nous permet de tenir debout, de mettre un pas devant l’autre.
Atterrissage à Orly. Les portes donnant accès à l’aérogare s’ouvrent. Je reconnais les personnes, je souris et je réalise à cet instant qu’il s’est passé quelque chose de très grave, les visages familiers venus nous accueillir sont marqués par le chagrin. Il y a un mélange de stupeur et d’incommensurable tristesse dans leurs yeux. Je n’aime pas.
Je voudrais que tout revienne comme avant et faire abstraction de cet évènement. Fuir. Retourner dans l’avion où le temps était suspendu. Je sens maintenant cette chape de plomb recouvrir mes épaules. Cette noirceur remplir mon champ de vision. Il fait gris dehors et dans mon cœur. Un état tout proche de la mort. Comme si il ne pouvait pas y avoir « un après » possible. Pas de but, ni projet. Juste aujourd’hui, ce putain de présent qui colle, glauque et puant
Nous arrivons chez nous, sans père, ni mère.
Maman est hospitalisée et va subir une longue intervention pour sauver sa colonne. Nous attendons la date. Le cercueil scellé arrive peu de temps après nous et est installé dans la salle à manger, les volets sont clos.
Je passe du temps dans cette pièce et je te parle, beaucoup…
La date de l’opération est tombée, ça sera le jour de ton enterrement. Les bras m’en tombent. J’angoisse à cette idée. Je prends une feuille de papier et me mets à t’écrire une dernière fois, pour ton dernier voyage. Je demande aux adultes qui s’occupent de nous et de la cérémonie, à pouvoir la lire à l’église.
On me le déconseille fortement, « ça va être trop difficile ! », je fais face à un mur et me décide d'appeler maman à l’aide pour faire taire ces bonnes âmes qui, à priori savent mieux que moi. Alors qu’elle est totalement anéantie, telle une lionne qui protège ses petits, elle les a tous mouchés.
Le jour J…Alors que maman est sur la table d’opération pour éviter la paralysie, nous nous tenons debout, devant l’église et les gens du village qui t’ont vu grandir. Je suis face à une assemblée sans visage et ton cercueil est devant moi…mon cauchemar d’enfant est devenu ma réalité. Le moment de te parler est arrivé, accompagnée par mon frère, je me présente devant l’autel, pour te dire au revoir, en pensant aussi à celle qui commençait juste sa bataille pour remarcher un jour.
Les jours et les semaines qui ont suivi, je ne m’en souviens pas. Le médecin m’avait prescrit un somnifère afin de m’aider à fermer l’oeil. Ce que j’ai fait, j’ai dormi, beaucoup…je n’ai pas rêvé, je ne crois pas.
Les mois ont passé puis les années. Assez pour que je me retrouve un jour à fêter mes 20 ans. En petit comité, rien d’extraordinaire. Premier moment important d’une vie où je me suis encore rendue compte que quelqu’un manquait à l’appel.
Notre cerveau a un rapport particulier avec la mort de ceux qui nous entourent. Pour nous préserver, il nous murmure à l’oreille que peut-être la personne n’est pas partie et qu’elle va réapparaître quelques années plus tard, en racontant une histoire incroyable. J’ai guetté les portes, les fenêtres, mais rien ne se produisit bien sûr.
Ce sont des années où j’ai pas mal pleuré...championne de cette activité, toutes catégories confondues. Mais, amies pleureuses, soyez rassurées, il s’avère que c’est extrêmement bon pour la santé de vos yeux. Scientifiquement, on hydrate nos cornées. On connaît toutes et tous des personnes avec des problèmes d’œil sec ! CQFD. Je compatis…moi je n’ai et n’aurai jamais ce problème. Même si, je dois avouer qu’avec l’âge j’hydrate quand même bien moins mes yeux. Peut-être que nous avons un quota de larmes à la naissance, comme pour les ovules… Et secondo, pleurer permet de relâcher la pression, de faire une sorte de reboot du système nerveux. On en a besoin. Nul ne peut rester tendu, submergé par l’émotion sans au bout d’un moment, laisser la pression se réguler. Une bonne chialade et ça repart ! Comme tous les bébés qui au moment du crépuscule, évacuent leur trop plein en pleurant si fort qu’ils laissent souvent leurs parents bien démunis.
Nos yeux…organes si essentiels, encore plus avec ces masques qui empêchent nos visages, habituellement si expressifs à exprimer autrement que par ses deux missionnaires de la communication non verbale.
Il s’en passe des choses durant nos échanges oculaires. Même furtifs. Cela peut aller de la bienveillance à du désintérêt, avec au milieu un panel intéressant d’émotions diverses : curiosité, agacement, questionnement, lubricité, désir, malveillance et vide. Vide, moi ça me questionne toujours. D’abord parce que c’est moins courant, ensuite parce que ça dénote, selon moi deux choses. Soit c’est pathologique, psychiatriquement parlant ou alors c’est que le cerveau est sur autre chose, du super lourd, extrêmement occupé à régler un truc tellement énorme qu’il ne peut gérer l’extérieur, les interactions. Des robots. Des absents, bien en peine avec leur dedans. Ces personnes là me touchent énormément, parce qu’il y a quelques années, j’étais vide moi aussi…
Je faisais plutôt partie de la deuxième catégorie, celle des absents. De ceux qui n’avaient que du gris à l’intérieur, plus une seule couleur en stock. J’avais beau lutter de toute ma positive attitude, le gris subsistait et grignotait ma vie. Je m’étais pris en pleine poire que la vie pouvait basculer en un claquement de doigt, ça m’avait mis à terre ainsi que tous mes rêves et désirs. Toutes mes folies envisagées pour ma vie d’adulte avaient coulé dans cette mer dégueulasse. Tous mes sourires, mes rires avaient laissé la place à un visage sans expression, dépossédé, une bouche à l’horizontal parfait, des yeux éteints, qui ne cherchent plus et ne questionnent plus. Un désintérêt pour tout et avant tout pour moi. A l’intérieur Madame « Moche et triste » régnait. Tu penses bien qu’à l’extérieur, ce ne pouvait pas être la Reine des neiges…non j’étais plutôt un coton tige avec des cheveux longs…gras (ben ouais, j’ai 15 ans quand même !), plat entourant un visage morne. Un corps…plat aussi d’ailleurs.
Cependant, il me restait au fond d’un petit placard neuronal, une toute petite boîte, renfermant un microscopique trésor : une envie, ou plutôt une luciole d’envie. Une micro lumière qui ne demandait qu’à prendre toute la place, Madame « joie ». Celle qui avait toujours été là, au plus loin que je m’en souvienne. Un petit truc bondissant, souriant, intensément bon public et croquant la vie à pleines dents. Exactement comme dans ce bijou de dessin animé, si proche de la réalité « Vice-Versa ».
C’est ce qui m’émeut quand je croise un regard vide. Je sais que quelque part dans les méandres de ce cerveau torturé, existe forcément, aussi cette luciole d’envie. Devant moi, se trouve Madame ou Monsieur« Moche et Triste » mais derrière, Madame «joie » attend son tour. Il arrive, malheureusement, que certaines âmes n’aient pu attendre qu’elle revienne et ont préféré partir. Quitter le navire. Mourir…parce que la souffrance psychologique prend toute la place, fait atrocement mal, est insupportable, voire insurmontable. Que même une douleur physique ignoble est préférable, pour éteindre ce brasier qui a déjà brûlé toute vie à l’intérieur.
Mais bien souvent, ces absents s’accrochent à la bouée de sauvetage, tendue par d’autres âmes, connues ou inconnues et qui remontent à la surface. Je suis intimement persuadée que ce sauvetage ne se fait jamais seul. Nous avons besoin des autres. Chaque rencontre est nécessaire pour que le film de notre vie continue. Ok…évidemment, il y a des rencontres dont on se serait bien passées, des accidents, des erreurs terribles. Mais ne serait-ce pas encore une fois, pour nous apprendre quelque chose sur nous-même ?
J’ai croisé des blesseurs (hommes et femmes), de celles et ceux qui peuvent manger ta joie de vivre, toute cru en moins de deux. De ceux qui te cassent en mille morceaux, qui te font douter de ton intelligence, de ta place sur cette terre, de toi. Qui te font faire n’importe quoi, loin de tes valeurs. Pour qui, tu vendrais ton âme pour un ptit coup de téléphone ou un sms…de merde. Pour ceux-là, souvent, tu prends le temps de bien tomber, de bien lécher le sol. Parce que tu es persuadée que tu vas réussir à les récupérer et qu’avec ton arme ultime « l’amour », tu vas réussir à les sauver. Ben non…Malheureusement ces blesseurs sont eux-même trop meurtris pour accepter de vivre dans la lumière et se complaise dans la sombritude de leur vie. Et s’ils peuvent embarquer une ou deux âmes naïves et sautillantes, ça ne sera que plus jubilatoire. Nous ne pouvons sauver que nous-même. Et pour cela, faut un minimum d’envie ! Cela peut-être une minouchette d’envie, même toute petite…
Petite, je me questionnais (aujourd’hui encore j’avoue…) sur la vie des gens croisés. J’aimais imaginer l’enfant qu’il ou elle a été. Pour certaines personnes, c’était tellement facile…à la surface de leur être. Pour d’autres, je visualisais beaucoup moins, voire pas du tout. Comme si, ces personnes étaient nés sérieuses et responsables. Allez, je suis sûre que tu en connais un ou une, à moins que ce ne soit toi ?
Je n’arrive pas à me faire à l’idée que tout à coup, l’on devienne adulte ?! Pour moi, c’est un peu comme les dates de péremption dans le frigo. Que se passe t’il dans la nuit du 17 au 18 pour qu’on se dise « hop, fini, on est grand ! »? Je reste persuadée que les nombres n’ont rien à voir avec ça. J’ai la sensation que malgré notre âge de grand adulte, nous sommes toujours un ou une enfant qui joue à faire comme si…On continue les « on dirait que… » sauf qu’il va y avoir de nouveaux paramètres, comme le travail, l’argent et bien sûr le sexe.
Mais à bien y regarder, une seule chose nous fait jouer et cette chose, nous y avons tous gouté très tôt, même si ce fut furtif…l’amour. Lui, toujours lui…Je crois que dès notre premier cri, notre quête est cette recherche d’inconditionnel, de ce qui nous mettra à l’abri pour toute notre vie. Cela peut-être une figure maternelle ou paternelle, un ou une chéri.e, un animal de compagnie…en tout cas, nous savons assez tôt que cette formidable source d’énergie peut-être aussi un gouffre qui nous engloutit tout entier. Malgré tout, nous n’aurons de cesse de le rechercher, pour se sentir exister, être plus grand, plus beau, plus vivant ! Alors ayant compris ça, je me suis dis, « Allez Josette, mets toi en chemin, en quête de cette chose qui te nourrie et qui peut te sauver : l’amour ! »







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