11. Joshua
- Aurélie Lavigne
- 8 avr.
- 4 min de lecture

Maman, on m'a donné un gâteau aujourd'hui.
Un Prince au chocolat ! Tu sais, ceux que j'aime !
C'est vrai qu'au départ, j'ai été très surpris parce que c'est Thomas qui me l'a donné. Tu sais Thomas...
Il était avec les autres qui souriaient, mais leur sourire était un peu bizarres.
J'hésitais, tu vois parce que je sentais que...comment tu dis déjà ? Ah oui y a baleine sous gravillon.
Mais Thomas m'a dit : "Vas-y ! Mange le, t'as peur de quoi ?"
J'avais envie de lui dire qu'il était pas joli son gâteau et puis pas entier. Il en manquait un bout. Pas qu'il avait été croqué, mais plutôt cassé.
Ils étaient tous autour de moi, à attendre.
J'avais une boule de froid dans le ventre, pas envie d'être là. J'ai regardé ce gâteau encore une fois et je me suis dit, jette le ! Suis pas si bête que je me suis dis.
"Mange le ! Mange le !"
Ca faisait pas trop normal quand même. La boule est montée dans la gorge. Ca doit communiquer avec les yeux, parce que j'avais froid aux yeux aussi. Il se passait quelque chose dans mon corps, comme une vague qui m'emportait, mais pas assez loin parce que j'étais toujours face à eux, ou plutôt entouré par tous ces sourires pleins de dents pas encore alignés par la ferraille.
Je l'ai finalement porté à mes lèvres. J'ai fermé les yeux pour me donner du courage. Et puis j'ai croqué un bout pour que ça s'arrête.
Thomas a dit "t'as vu c'est bon, hein ? Finis le maintenant !"
J'ai refermé les yeux pour revenir en moi, là où je me sens en sécurité, ce petit espace rien qu'à moi.
J'ai croqué un autre bout. J'ai eu plus de mal à l'vavaler celui-là. La boule prenait toute la place, j'ai insisté pour que ce petit morceau descende et quon en finisse.
Leurs rires étouffés parvenaient à mes oreilles. Je savais mais je faisais comme si y avait rien à entendre.
J'éspérais secrètement que la sonnerie retentisse pour mettre fin à la récré et que je retrouve ma place en classe.
Maman...j'ai tout mangé. Avalé ce foutu Prince et attendu la scène finale. C'est ça que je voulais, en finir. Que les rires explosent enfin, que les mots (gros) sortent enfin, que je prenne mon dû et que tout s'arrête pour retourner enfin en maths avec Monsieur Filipo, qui ne voit rien maiq qui me laisse tranquille, au fond, moi le des débiles des proportions et de Thalès.
J'ai ouvert les yeux, l'image et le son me sont revenus en même temps.
C'était violent maman. Ils riaient si fort, se tapaient dans les mains comme des joueurs de la NBA pour un panier à 6 points.
Thomas a ramassé queque chose par terre, c'était l'autre moitié du gâteau.
"Tiens, si t'as encore faim, il en reste, gros dégueu ! T'aimes ça bouffer de la merde, hein ? Dans la cour, t'inquiètes, y en a plein !"
Je me suis dis : pourvu qu'aucun chien n'ait fait pipi dessus. Mais bon, y a pas de chien normalement dans un collège.
Normalement...est-ce qu'il y a encore des choses normales en même temps depuis que je suis dans cette classe ?
Maman, j'ai rien dit.
J'ai pas pleuré non plus.
J'ai demandé à mon corps de vite traiter cet évènement qui est finalement pas si grave. J'veux dire par rapport au reste.
Le reste ?
T'as pas besoin de savoir. Ca va te faire de la peine et puis tu vas te mettre en colère, tu vas encore finir dans le bureau du principal.
Et tu vois bien que ça ne sert à rien. Ils t'ont dit que c'était à moi de m'éloigner de ce groupe d'enfants, bons élèves et soudés. Que moi, j'étais un solitaire, un peu différent.
Monsieur le Principal, je ne suis pas un solitaire !
J'ai envie, moi aussi, d'être avec les copains, de rire, de jouer, de vivre.
On me refuse, on me met à l'écart et on me maltraite !
"Suce ma bite !" un jour on m'a dit. Il m'vait plaqué ma tête contre son ventre. Je me suis débattu et je me suis enfui.
Enfui...laissant derrière moi les hilares et les mots si gros que tu serais devenue sourde.
Tu vois ma maman, tout ça, je ne te le raconterai plus.
Je sais à quel point ça te fait mal et que malgré la bataille que tu veux lancer, il n'y a rien à espérer.
Je le garde pour moi. Je te dis pas que ça va non plus.
Je te mets à l'écart, je te boude, te parle mal pour que tois plus fâchée contre moi et pas triste, pas inquiète.
Tu sais, la dernière fois, tu étais venue et j'ai cru que t'allais tout péter au collège, tu leur a crié des mots comme "harcèlement", "plainte". Mais le principal, il t'écoutait pas.
Le lendemain, ils m'attendaient pour m'encercler en me traitant de "tapette" et de "victime" et d'autres trucs dont je ne me souviens plus.
C'est pas grave maman.
C'était juste un petit bout de gâteau, pas grand chose en fait. Tu vois, je ne suis pas mort. Pas "mouru" comme tu dis pour rigoler quand je parviens enfin à finir ma micro bouchée de ton plat d'endives au jambon.
Je rentre à la maison. Je claque les portes parfois. Pardon.
J'ai peur des autres, du dehors.
Est-ce que c'est la vie ? J'ai peur de te poser la question parce que je crois bien que la réponse est oui.
Je suis fatigué.






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