top of page

7. Colombe

Dernière mise à jour : 8 avr.





La plage est déserte et le sable scintille de toute l’humidité que lui a laissé la nuit en se retirant doucement. Mes pieds s’enfoncent juste assez pour ressentir le frais, j’aime cette sensation... L’océan semble calme, comme tout juste sorti d’un profond sommeil, seul un petit clapot me murmure de me hâter à le goûter.

J’assiste à la naissance quotidienne du soleil, qui semble sortir de l’eau et donner vie à tout ce qui se trouve sur cette Terre, il met en lumière les couleurs de chaque chose, chaque élément. Je me nourris de ce spectacle.

J’enlève mon paréo et nue, je me dirige vers l’eau. Je prends le temps de sentir cette douce chaleur sur ma peau. Je ferme les yeux pour laisser mes autres sens profiter du moment.

Les premiers pas glacés me font tressaillir quelques secondes, mais je ne m’arrête pas, je pense à la chaleur qui se dirige tout azimut vers mon cœur, mon sang quitte mes extrémités pour laisser toute la place à ce qui est le plus important pour me maintenir en vie. Je me dis que ce corps est une machine incroyable, alors que je le malmène bien souvent, il fait tout ce qu’il peut pour que je me maintienne à flots. Il travaille seul, compense, rétablit, libère un peu plus de ci et rejette beaucoup de ça. Et moi, je le regarde admirative mais ambivalente, je le critique beaucoup…parfois.

Je lui reproche de ne pas être assez costaud, assez puissant, de ne pas me porter assez haut et fort. Et puis, je n’apprécie pas qu’il me lâche comme ça, sans vraiment de préavis en apercevant les premières rides au coin des yeux. Tout a une fin. Même cet incroyable conglomérat de cellules si intelligentes et autonomes. Ces cellules que j’ai enivrées jusqu’au black-out, enfumées jusqu’à la bronchite, goinfrées de trop gras, de shoot de sucre, bref…maltraitées, pas respectées.

Je reviens au moment présent, mes épaules sont immergées, je prends une inspiration et me laisse couler totalement. Je sens la vague froide qui enveloppe mon visage et mon crâne, j’ouvre mes yeux comme réveillée brutalement par un bruit assourdissant.

Pendant quelques secondes, Je laisse l’océan m’envelopper complètement et lorsque chaque brin de cheveux humidifié flotte autour de moi, je remonte et prends une grande bouffée d’air.

Je suis bien et pourrais rester là toute ma vie. Le froid me fait prendre conscience de chaque parcelle de peau. Je sens les contours de mon corps, enfin. J’étais indéfinissable, où était le début, où était la fin de moi ? Seul l’esprit existait et inhibait le reste.

Je commence à nager, je quitte le fond, là où j’avais pieds pour détendre tout mon corps. Il a bien besoin d’un peu de mouvement après toute cette agitation mentale qui m’a clouée au sol.

Je m’en veux de lui avoir fait subir cette guerre des tranchées, tapie à attendre que l’ennemie se décide à m’achever. Mais la fin ne vient pas, juste une lente agonie qui me laisse vidée mais toujours vivante. Hélas.

Je jette un coup d’œil derrière moi, pas âme qui vive sur la plage.

Le Porge…tes plages sont tellement incroyables, te retrouver après ces années d’absence, c’est comme retrouver une vieille photo dans une boîte oubliée sous notre lit, un mélange de nostalgie, la mélancolie des moments passés.

Escalader la dune pour découvrir enfin le plus beau spectacle au monde, toi, l’océan qui a toujours su m’apaiser et soigner mes maux.

Tu vois j’ai encore besoin de toi aujourd’hui, mais promis ça sera la dernière fois.

Ma demande est particulière, je le sais. Ça sera certainement beaucoup te demander…je te connais si bien, je sais où est ta faiblesse et si jamais tu ne voulais pas m’emmener…

Je n’ai pas choisi cet endroit au hasard.

Ni l’heure.

Voilà, je te sens. Je sens ta force, celle qui veut m’emmener vers le large et je vais la laisser faire. Je te sens me pousser avec une telle rage. Je n’ai pas peur, pas cette fois.

 

Mais Colombe, tu es si prévisible, tellement trop gentille que ça en devient pathétique. Tu crois qu’on réussit quand on est malléable comme toi. Tu te fais avoir et le pire c’est que tu ne t’en rends jamais compte.

On ne respecte pas les gens comme toi.

Tu n’es pas assez

Tu es trop

Tu ne seras jamais capable de…

Je ne t’aime pas ou plus

 

Toutes ces nuits sans sommeil, ces jours où mon esprit est martelé à coups de mots massues, cette joie qui n’est plus qu’une petite voix que je n’entends presque plus et ce corps qui m’envoie des signaux d’alarme que je mets au silence, m’ont mise dans un état de fatigue intense. Je suis anesthésiée. Mes jambes ne cherchent plus à faire ces gestes qui maintiennent à la surface. Seuls mes bras tentent de me sauver. Ils luttent encore un peu, mais capitulent quand le courant se fait plus fort encore. Ma tête s’enfonce doucement, je sens le froid, je fais silence et ferme les yeux. Après quelques secondes d’apnée réflexe, je laisse l’eau prendre le chemin habituel de l’air, ça me brûle. J’ai mal.

Mieux vaut cette douleur que la souffrance de la vie.

 

Et puis…

Une lueur, des images.

Serait- ce fameux phénomène pré-mortem ? Ces derniers instants de conscience avant de basculer vers le néant.

Je retrouve mes visages aimés, des regards qui soutiennent, des éclats de rire qui te font fermer les yeux, des sérences à t’en faire craquer chaque vertèbre, des jolis mots qui tiennent chaud, des mamans par ci, des bichettes par là, des mercis d’être ici, des « je t’aime » tellement sincères que ça te fait péter le cœur, des mains qui se tendent pour qu'on les saisisse.

Des balades, visage au vent, bras dessus, bras dessous à refaire le monde, à se dire que tout est possible quand on en a envie.

Et puis, ces petits moments à la volée avec des personnes inconnues qui sont capables d’ensoleiller une âme triste. Comme une porte tenue plus longtemps pour que je puisse entrer chez le boulanger, alors que la pluie battante m’a rincé jusqu’aux os.

Une discussion avec un papy sur le temps d’avant : « parce que vous comprenez Mademoiselle, vous n’avez pas connu parce que vous êtes toute jeune, mais dans mon temps, on faisait pas comme ça ! ». Alors que j’approche la cinquantaine.

Un « Madame, vous êtes trop belle ! » lancé à l’arrachée par une jeune de la rue alors que c’était un jour où je me sentais aussi désirable qu’une loche dans ses plus mauvais jours, dieu sait qu’elle en a des mauvais jours…la loche.

J'aime tous ces moments de partage qui grâce à ces mots, ces sourires et ces regards bienveillants, créent pour un instant, une connivence qui illumine nos vies. Ca me fait penser au peintre qui projette la couleur sur sa toile. « Tiens ! Prends ça, du rouge, du jaune, du bleu ! Parce que tu le mérites! » et ça fait du bien.

 Je sens mon corps envahi par une douce chaleur. Je flotte plus que je ne coule et…

 

« Maman !

-       Oui ! J’arrive ! Je me lève mon cœur. »

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 

Posts récents

Voir tout

2 Comments


Magnifique... Tu es douée, je le dis à chacun de tes textes, mais là... Tu m'as ému aux larmes..

à très vite !



😘

Like

Guest
Feb 08, 2024

Oh pu****…

Les larmes au yeux, je termine le récit de ton texte…

Je ne te connais pas beaucoup, mais j’aime ce que j’ai compris de toi : ta joie de vivre et la facilité à célébrer les petits riens de la vie !

Malgré ce qui traîne séparait de ce texte, j’espère que tu as toujours la foi en la vie et en ses petits miracles.

Je t’envoie mes douces pensées.


Emilie ( Biennard, du centre de santé sexuelle d’Angoulême, qui chercherait une infirmière …)

Like
Post: Blog2_Post

© 2022 par baleinesousgravillon. Créé avec Wix.com

bottom of page