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8. Céline

Dernière mise à jour : 8 avr.


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Ne pas faire de bruit, respirer le plus doucement possible.

Je sens son souffle dans mon dos, j'entends le passage de l'air rejoindre à grand bruit l'extérieur de sa bouche.

Je me fais la plus petite possible, tout au bord de notre lit.

J'ai chaud, mais je ne dois pas repousser la couette de peur que ce glissement de tissu ne soit déjà trop audible. Je ne sens plus mon bras droit, tout engourdi d'être resté coincé sous mon corps si longtemps.

J'accepte cette douleur, celle que j'ai choisi, qui a un objectif et plus celle qu'on m'inflige.

Je reprends possession de mon corps malmené.

Il bouge...

Je fais une pause respiratoire. Une apnée pour être à l'écoute des bruits de l'autre. Que fait-il ? Ou plutôt que va t-il faire ?

Il se retourne, en faisant des petits bruits d'animaux et repart dans le sommeil.

C'est le moment, je dois sortir du lit. Fuir. Cette fois, je vais aller au bout.


Je retiens mon souffle encore...je sors mes pieds, l'un après l'autre, de la couette, ils pendent dans le vide quelques secondes, avant de toucher le sol froid du carrelage.

Je fais glisser le haut de mon corps pour me retrouver à quatre pattes, près du lit.

Je laisse échapper une petite respiration de soulagement, la plus inaudible possible et me dirige vers la porte que je ne lâche pas du regard.

Heureusement, il ne l'a pas claqué après avoir tant hurlé, hier soir. Elle est grande ouverte, comme un présage.

Enfin...je suis sortie de la chambre.


Je me relève et me plaque contre le mur, je jette un coup d'oeil sur le lit, l'autre n'a pas bougé.

Mes pieds frôlent le sol pour atteindre la salle de bain, mon refuge, la seule porte avec encore une clé à l'intérieur.

Mes affaires de fugitive sont là, rangées au fond de la panière de linge sale : un jean, un t.shirt et un sweat à capuche, tous noirs, pour ne pas être repérable dans la nuit . J'enfile mes chaussettes noires, elles aussi. Mes baskets m'attendent dans l'entrée, mais je ne les mettrai qu'après avoir couru assez longtemps pour me sentir à l'abri.


Il me faut repasser devant la chambre pour atteindre la porte d'entrée que j'ai renommée "de secours".

En un regard, tout bascule.


IL N'EST PLUS DANS LE LIT.


Une incandescente sensation de peur envahit tout mon corps. Je suis tétanisée d'effroi. Mon sang afflue et martèle mes tempes qui vont exploser. Je vais exploser.

Ma bouche est totalement sèche et mon haleine prend ce goût métallique, que je connais si bien. Je ferme les yeux quelques secondes afin de reprendre mes esprits ou peut-être de capituler. Je ne sais plus, j'hésite. Et si, je retournais me coucher ?


Et puis, mon instinct me fait faire un pas, mon corps décide de prendre les commandes, il m'en fait faire un deuxième, sans aucun bruit, comme j'en ai l'habitude depuis tellement de temps. Etre invisible, me mettre en protection, aimer le silence plus que tout et être constamment sur le qui-vive. Voilà celle que je suis. Rien d'autre ne prend de place dans ma vie. Tout ce que je viens d'énumérer est ma vie.


Le couloir me semble interminable. Je dois passer devant la dernière pièce "maîtresse" de ma prison. Celle qui m'a vue bien des fois, vaciller, chuter, me recroqueviller pour protéger mon ventre toujours infructueux, de ses coups de pieds.

Je suis reconnaissante qu'il n'y ait eu toujours que moi à subir cette vie. Bien sûr, j'aurais voulu être mère et ça aurait pu..

Souvent, je remercie le ciel, l'univers, Dieu ou encore Marie d'être restée "vide".

Cette pièce remplie d'armes telles que couteaux, fourchettes, bouteille, poêles et autres ustensiles détournés de leur utilité première, devenait souvent son défouloir physique et mental. Je devenais la "vraiment trop conne", la "petite pute", ou pire "la rien, la vide".

Chaque coup porté sur mon corps me voyait disparaître dans mes pensées afin de comprendre la portée et le pourquoi de ces mots. Je m'évadais comme ça.


Enfin je dépasse la cuisine qui était restée dans l'obscurité et dont aucun souffle ne parvenait. Plus qu'une dizaine de pas et je quitte pour toujours mon enfer.

Je n'entends toujours aucun bruit, aucune trace de lui. Est-il parti aux toilettes ? ou alors faire ses besoins dehors, comme ça lui prend parfois en pleine nuit ?

Mais j'aurais entendu quelques chose...Stop ! Je me ressaisis, je suis trop loin pour faire une enquête et laisser la peur gagner encore une fois.

Ma main touche enfin la poignée, je tourne la clé, un seul tour suffit, j'avais bien vérifié la veille.

C'est bon.

Je suis focalisée sur cette poignée que je commence à tourner tout doucement. Je ferme les yeux, comme dans l'attente d'une mauvaise surprise, comme un nouveau coup par exemple.

J'entrouvre.

Un chuchotement dans mon oreille droite me glace le sang.


"Où est-ce que tu comptes aller ma douce et petite chérie ?"



 
 
 

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1 commentaire


Très angoissant... Très bien écrit, comme d'hab...

Quel talent !

Bravo Aurélie ! 😘

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