1. Valérie
- Aurélie Lavigne
- 9 févr. 2023
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 avr.

Lundi 6h59
- Bien le bonjour Valérie ! Allez debout il est 7h !
- Mon dieu, qu’elle est drôle…
- Mais que je suis Bête ! Pardon Valérie…
Les volets s’ouvrent et laissent entrer le soleil encore pâle à cette heure si tôtive.
J’observe ce feu follet qui a débarqué dans ma chambre.
Lucie.
Elle me noie de paroles, rit et me pose mille questions.
- Est-ce que tu as bien dormi ?
- Comme d’habitude…j’ai eu un peu froid et…
- Tu dois avoir faim maintenant après cette belle nuit ?
- Pas vraiment là. Je voudrais me lever et étirer tous mes membres tout endoloris.
- Je me doutais alors je t’ai préparé un petit déjeuner digne de l’intercontinental !
- C’est vrai ?? Tu veux dire, croissants, fruits, chocolatine, du thé vert au citron ? Oh merci ma Lucie, ça me fait tellement plaisir.
- Attends je vais t’installer !
- Je ne bouge pas…
Lucie, c’est la plus gentille. Je sais que ma matinée va être agréable. Et ce n’est vraiment pas tout le temps le cas, croyez-moi !
- J’ai demandé à ton mari, il m’a dit que tu aimais la musique classique. Alors j’ai récupéré un CD avec les 40 morceaux les plus connus, ça s’appelle « les merveilles du classique », on devrait passer un bon moment ! Ça te dit ?
- Oh oui Lucie, tu ne saurais me faire plus plaisir, mais par pitié pas trop fort.
- Dis, il date un peu ton lecteur CD ? Mais bon, il fonctionne, c’est déjà pas mal. Le son grésille dès qu’on met un peu fort, alors ça sera en sourdine.
- Merci. Laurent me l’avait acheté pour notre anniversaire de mariage, nos 20 ans, en 2014 je crois…Oui c’est bien ça. Il était emballé avec des CD d’Erik Satie et de Sonya Belousova. Une vraie merveille…Je l’ai tellement usé ce poste-là !
- Je vais chercher ton plateau, je reviens.
- J’en salive déjà !
Lucie revient en souriant, les bras chargés de ce plateau qui ne contient aucunement ce à quoi j’aspirais. Il y a juste un bol et une cuillère. Le même bol comme chaque matin, le même goût de chocolat industriel, insipide, avec la même mie détrempée. Une infamie gustative.
Je le savais bien sûr.
Mais j’ai espéré.
Espéré que ma situation ait miraculeusement changée cette nuit. J’essaie de me souvenir, de compter, en alignant des bâtons dans ma tête, les jours depuis mon arrivée ici.
Je grapille toutes les informations utiles pour reconstituer l’histoire, mon histoire.
Grâce à Lucie et Laurent, j’avance. Parce qu’ils me parlent comme si j’étais la Valérie d’avant.
Avant que la nuit ne tombe dans ma tête…
Lucie s’installe à côté de moi et me demande de fermer les yeux. En quelques minutes, elle parvient à me transporter ailleurs, loin de cette chambre aseptisée et loin de cette bouillie immonde. Elle m’aide à retrouver ma mémoire olfactive avec quelques effluves aimés.
S’offrent à moi alors, le café, le pain grillé tout juste éjecté de ses grilles rougeoyantes, le beurre demi-sel qui a fondu et qui coule sur mes joues. Le jus d’orange pressé et sa pulpe qui nappe mes gencives. L’acidité qui me fait plisser les yeux.
J’entends sa voix qui me guide, doucement dans ce festin, accompagné du concerto n°23 en A majeur de Mozart, magistralement interprété par Mikhail Pletnev…
Et c’est un bon moment, un presque très bon moment. Tout le monde est content, Lucie d’avoir réussi à me faire prendre la totalité de mon quota de protéines, moi de m’être presque régalée.
La première fois qu’elle m’a « proposée » cette alternative, j’avais envie de lui foutre le plateau au visage et de lui dire qu’elle n’avait qu’à la bouffer sa bouillie pour chien ! Mais elle n’a pas lâché. Ce feu follet là…
Mardi 7h03
La porte s’ouvre en même temps que la lumière que je reçois en plein visage. Apparemment fin de la nuit, mais personne ne s’adresse à moi. La lumière m’aveugle et je ne distingue qu’une silhouette, puis une deuxième. Je comprends vite que ce n’est pas Lucie.
Les deux ombres s’affairent autour de moi.
Le dossier du lit se lève, me mettant à la verticale, on m’attache un long plastique froid autour de mon cou.
Elles discutent entre elles, de leur soirée de la veille. Et puis…
- Allez ma beauté, un bon petit chocolat pour bien commencer la journée.
- Tu crois sincèrement que c’est bon, ça a l’air bien dégueu quand même et c’est froid en plus ?
- Ben, je ne crois pas qu’elle s’en rende vraiment compte ! Allez Valérie ouvre la bouche !
Je serre mes mâchoires.
- Valou, si tu ne te laisses pas faire, tu sais ce qui t’attend ? Allons, ne fais pas l’imbécile, un petit effort.
Je ne lâche rien, je suis prête à combattre même si je connais l’issue.
Devant ma résistance, une des silhouettes sort de la chambre, quelques minutes passent. Elle revient presque victorieuse, armée.
Il faut que je m’échappe…je ferme les yeux.
C’est l’été, je suis sur mon vélo avec Laurent. Nous traversons la campagne que j’aime tant. Les rayons du soleil réchauffent mon visage, je souris, je suis libre et le vent met du désordre dans mes cheveux. Que c’est bon de sentir mes jambes en mouvement, elles ne s’arrêtent plus de pédaler alors que mes bras tiennent solidement le guidon pour garder le cap.
- Bon puisque tu ne veux pas, nous allons passer à la méthode forte.
Laurent, fier comme Artaban, me dépasse et file comme l’éclair devant moi. Je veux le rattraper. Je soulève mes fesses pour donner plus d’impulsion à mon coup de pédale. Je ris même si je m’essouffle un peu.
- Qu’est-ce que tu vas lui faire ?
- C’est important qu’elle mange ! Sinon, elle va dépérir. Passe-moi la grosse seringue sur l’adaptable.
- Celle de 60ml ?
- Oui
Je ne parviens pas à le rejoindre, je veux crier son nom, mais aucun son ne sort. Je tente de toutes mes forces, mais je reste muette. Ma cadence ralentit. Il me distance tellement.
- Allez Léa, je vais te montrer comment procéder. Tu remplis la seringue avec la bouillie, puis tu couches un peu la personne et tu lui introduis (enfonces) dans la bouche. Tu n’as plus qu’à appuyer sur le piston. Comme ça, plus de problème, pas le choix, elle avale.
- Mais Annabelle…c’est du gavage ?
- Appelle-le comme tu veux, au moins, elle mange ! Tu sais, elle ne se rend compte de rien, c’est triste à dire, mais elle est comme un légume. Elle ne parle plus, ne bouge plus, elle n’a plus que ses yeux de mobiles. Crois-moi, c’est le vide intersidéral dans son cerveau !
- …
- Elle a fait un AVC massif il y a 4 ans, c’est triste hein ? 50 ans et devenir comme ça, vaudrait mieux mourir…
Laurent ne se retourne plus, il avance si vite, je ne le vois pratiquement plus. Je sens quelques gouttes sur ma peau, le temps s’est brutalement couvert. Je peine à respirer, ma bouche est pâteuse, je ne parviens pas à déglutir correctement. Je sens la pluie s'intensifier et je ne trouve pas d'abri. J'ai froid.
- Annabelle, regarde ses yeux, elle pleure…
On m’a porté dans les pensées de Valerie, poignant…..
Aurélie, ta plume est magique ! Hâte de lire la suite, vite vite... Bisous
Les larmes ont coulés .. on se projette tellement dans tes mots .. tu es une Grande .. continue à nous permettre l’évasion !
Rélie ! quel Talent ! Ce sont des livres que tu devrais faire Publier
c’est tellement bien ecrit…c’est incroyable ces détails …qui donnent toute l’intensite
tu es talentueuse